Verte Venise, 2023 ©Jeanne Roualet

Réunis dans le cadre bucolique de la galerie Analix Forever et de sa ZAVAA (Zone d’Autonomie et d’Accueil Végétal et Animal) où abeilles, fourmis et escargots sont résidents, dix-sept artistes se regroupent au cœur de l’exposition « une écologie des images » jusqu’au 1er mai 2024. Dénonciation, admiration, inquiétude, lenteur, émerveillement, mais surtout réflexion, ces artistes préoccupés par la question de l’écologie s’expriment de concert à travers le médium de la vidéo ou de la photographie. 

L’écologie étant devenue ces dernières années l’un des sujets centraux de l’intérêt médiatique, mais également de l’intérêt collectif quotidien de chacun d’entre nous, il s’agit de toute évidence d’un sujet à méditer. Ainsi, au sein de cet espace, visiteurs, galeristes et artistes entreprennent par le biais des arts visuels un dialogue riche d’enseignements. Sentiments partagés et idées parfois opposées sont réunis au cœur de la galerie Analix Forever. 

L’écologie des images au gré des saisons changeantes

L’écologie, est étroitement associée à l’écologie des matières, aux gestes face aux impacts environnementaux du plastique, de la surconsommation, de l’entassement infinies d’objets. La réduction de nos déchets, la sensibilisation accrue à notre empreinte carbone sont porteuses de l’idée d’une écologie des images incarnant l’idée d’une conscience écologique et humaniste de nos gestes, de nos habitudes et de nos modes de consommation. Ainsi, Guillaume Varone et Mariabrice Sapphocatherin, artistes conscients de l’importance de leur empreinte environnementale, suscitent par leur travail une volonté accrue de remanier l’art, tant sur le plan écologique qu’économique.

À peine notre main s’apprête-t-elle à saisir la poignée de la galerie que nos yeux s’adonnent instinctivement à la contemplation de l’œuvre de Guillaume Varone : un grand panneau blanc suspendu et imposant. Sous l’éclairage intense des spots, les nuances délicates des couleurs se révèlent à nous : des tons froids aux chauds, du gris au vert, mettant en lumière toute l’harmonie des clichés. Guillaume Varone, photographe silencieux, capture des instants de vie, des fragments de son vécu ou de simples moments du quotidien. Paysages, voyages, portraits ou intimité, le contradictoire devient complémentaire. Divisé en deux parties, ton chaud et souvenirs de vie sur la première, ton froid, nuit et intimité sur la deuxième, l’œuvre témoigne des souvenirs de l’artiste et de ses voyages au gré des saisons changeantes. Du jour à la nuit, de l’hiver à l’été, du crépuscule à l’aube, Guillaume Varone immortalise le temps qui passe, tel une horloge à l’échelle d’un panneau de deux mètres de large. 

Au total, 85 images se présentent à nous, tel un catalogue dont nous pourrions tourner les pages. Mais ici, ce sont nos yeux, acteur principal de l’œuvre, qui par l’exercice des mouvements oculaires recherchent de nouvelles photographies, parcourant les clichés successivement : de haut en bas, de gauche à droite ou inversement. Chacun est libre de tourner autour de l’œuvre, de contempler encore et encore, plus proche ou plus loin, sans jamais avoir le même point de vue. Ici, l’écologie des images ne se retrouve pas seulement dans cette volonté de condenser ces photographies sur un tableau, elle réside également dans la finesse de l’œuvre, offrant la possibilité de produire des tirages aux dimensions souhaitées : pas de perte, pas de stock, seulement des impressions sur demande.

Elle la neige, Guillaume Varone

Quelques pas de plus et nous voilà au cœur de la ZAVAA. Sur notre droite, après avoir gravi les quelques marches des escaliers menant au jardin, Blend, l’œuvre de Mariabrice Sapphocatherin, flottant au vent prend de la hauteur et trouve place au bord de la treille. Mariabrice Sapphocatherin présente un montage photographique sur du carton écologique à l’image d’une mappemonde où six entités humaines se fondent et se dissimulent au cœur de trois continents : l’Europe, l’Afrique et l’Amérique. Ainsi, Blend offre une compilation de paysages variés emportant le visiteur autour du monde. Intégrée harmonieusement à la nature environnante, où le vent, la pluie et le soleil semblent être en parfaite symbiose, Blend incarne naturellement la sympoïèse, un concept de Donna Harraway. Du grec sún qui signifie « ensemble » et poíēsis qui signifie « production », la sympoïèse représente la création collective, le « faire avec » où chaque élément se complète l’un avec l’autre.

Blend, 2024, Mariabrice Sapphocatherin, ©Brice Catherin

Valoriser le recyclage : quand l’écologie rime avec le réemploi. 

Par écologie, on entend également le recyclage, le réemploi, « la seconde main » terme très utilisé à l’ère contemporaine. Inspirés et attirés par ce qui est oublié et délaissé des autres, les artistes Isabelle Chapuis et Nikias Imhoof accordent une attention toute particulière au concept de « réemploi ». Dès lors, l’écologie prend un sens nouveau : limiter sa consommation est important, mais réemployer les anciens produits est encore mieux. 

Réappropriation, regard nouveau ou même découverte, Isabelle Chapuis offre un support réflexif à travers son art, en explorant le corps de la femme avec un regard empreint d’amour. Se souciant du bien-être physique et mental de chaque femme, Isabelle Chapuis, artiste plasticienne, propose également une pratique thérapeutique rythmée par la photographie. Ainsi, au cœur de la galerie Analix Forever, se dresse sur ce mur d’un blanc pur, une femme aux formes voluptueuses, élégante et libre. Le concept de l’artiste est né à la suite d’une promenade, où elle trouve dans une « boîte à livres », LIFE’S Picture history of western man, devenu le support de son œuvre CORPS MONDE. Ces pages du livre, Isabelle Chapuis les embellit, en y imprimant avec de vieilles imprimantes de récupération le corps de cette femme qui émerge des eaux d’un bleu profond. Personnage mythologique ou femme souveraine de son temps, chacun de ses détails est imprimé page après page : mollets, cuisses, courbes, expressions d’un visage libéré et gracieux. 

Pourtant, tout était destiné à l’oubli, un livre abandonné dans une cabane au fond d’une forêt, à peine contemplé par les passants, un livre abîmé aux pages jaunies par le temps. Mais grâce à Isabelle Chapuis, celui-ci retrouve la joie de l’existence, l’espoir d’être vu aux yeux de tous. Ainsi, CORPS MONDE devient une œuvre pleine de vie, d’émotions et de sublimation. Imposante, aux pages aléatoires, cette femme à nouveau vivante s’expose aux yeux du public, submergé par sa grandeur, sa force et son imposante présence. Impossible de l’ignorer cette fois-ci : tous les regards se tournent désormais vers elle, et ces pages sont de nouveau admirées.

Nikias Imhoof, quant à lui, choisit de faire revivre des moments ignorés. Il célèbre les aléas de la vie, ses instants fugaces et ceux des passants qui croisent son chemin. Véritable hasard de la capture, sans jamais vraiment connaître le résultat, il cultive la surprise et l’engouement de découvrir les images saisies sur le vif. Nikias Imhoof porte une attention particulière aux amorces, ces bouts de pellicule négligés, jetés avec mépris, considérés comme inutiles et encombrants. Brûlées, coupées, ces amorces ne reçoivent habituellement aucune attention, aucun regard n’est jamais porté sur elles. Pourtant, elles intriguent le photographe. Redécouvrir le quotidien, conserver des bribes de souvenirs. Couleurs solaires, argentiques, photographies nettes ou floues, chaque amorce renaît dans les mains de l’artiste et prend toute sa valeur. 

Alors, par ces impressions aléatoires ou ces clichés capturés par inadvertance, Nikias Imhoof nous sensibilise à la beauté ignorée des choses qui nous entourent, à la simplicité du moment vécu. Et en offrant indirectement une nouvelle façon de voir le monde, l’artiste peut susciter en chaque visiteur, le désir d’admirer ce qui est souvent négligé. 

La lenteur, questionnement sous-jacent d’une écologie des images. 

L’écologie implique également de prendre son temps. Voir et revoir des centaines de fois, réfléchir, comprendre, analyser, rechercher le vrai parmi le superflu, l’insatisfaction, le doute. C’est ce à quoi nous sensibilisent les artistes Véronique Caye et Klavdij Sluban. Leurs œuvres présentant des contrastes forts, les opposent et les rassemblent dans la lenteur et le cheminement vers une prise de vue parfaite et profonde. Regarder avec les yeux, mais sentir avec le cœur, des œuvres aux fortes émotions qui transcendent le regard des spectateurs. 

Véronique Caye, metteuse en scène, cinéaste spécialiste de l’image scène et autrice de Vera Icona, Abécédaire de l’image scène aux Éditions Hématomes, recherche avant tout des images qualitatives, attentive à l’immersion du spectateur. Six extraits de ses spectacles sont présentés au cœur de l’exposition. Profusion d’images et de son, angoisse, lenteur, silence, mais surtout beauté, les décors de Véronique Caye agissent telle une énigme à part entière. Chacun de ses spectacles nous fait réfléchir, nous interpelle et parfois, nous angoisse. Rythmé entre sensualité et distance, tout semble si éphémère. Mais, chez Véronique Caye, l’intrigue questionne, le silence inquiète, le décor sublime et l’image scénique brouille les sens. Projeté dans un espace mental, confronté à des questions sans réponses, le spectateur observe, écoute, se laisse bercer et surprendre. 

Tokyo Line illustre cette idée de délicatesse des gestes rythmée par la précipitation du décor environnant. Plus qu’une question d’écologie des images, il s’agit ici d’une écologie des mouvements. Dans chacune de ses créations, Véronique Caye reconsidère l’empreinte environnementale de la création théâtrale, utilisant des décors souvent détruit après une seule utilisation. Ainsi, elle met en place des décors grâce à la projection et la création numérique qui, une fois la lumière éteinte et le spectacle terminé, perdurent dans les mémoires, mais ne subsistent plus au cœur de notre réalité physique. 

Tempête, 2021 ©Véronique Caye

Dernière salle de l’exposition, trois minutes pour y arriver, six ans pour Klavdij Sluban. Connu pour ses récits photographiques puissants et remplis d’émotions sur les prisons et les détenus en France et en Europe de l’Est, la série Lits illustre la lenteur à travers la dimension essentielle que représente le temps pour Klavdij Sluban. Il passera six ans – six ans à redécouvrir, sélectionner, revisiter ses photographies. Les unes à côté des autres, cellule après cellule, la solitude, l’enfermement, l’amour et la violence se trouvent réunis et unis au cœur du centre des jeunes détenus. L’importance du pli des draps nous interpelle, nous fascine, évoquant ainsi, la présence d’un espace occupé, imprégné de l’âme des détenus. 

Des inscriptions sur les murs, des jeux de lumière contrastant avec l’obscurité, tout est si minutieusement agencé. Chaque photographie reflète une sorte d’harmonie qui pourtant semble se heurter à une réalité amère. Une beauté émane de la misère qui se déploie, du sublime de la tristesse partagée à Fleury-Mérogis. Alors que chacun d’entre nous observe et contemple avec attention les moindres détails, des émotions diverses et variées se côtoient, s’entrechoquent et s’entremêlent dans nos esprits et nos cœurs – quiétude, peine, sublimation, tristesse. Les œuvres de Klavdij Sluban évoquent à la fois l’espoir et la perte. La lumière douce et fragile agit comme le symbole incertain de l’espoir d’un jour nouveau, telle une source illuminant le triste destin des détenus, réconfortant à jamais les cœurs meurtris.

Une écologie des images, capturer l’essence même du monde environnant

Finalement, « une écologie des images » offre une expérience artistique pleinement immersive où chacun entreprend une réflexion et une introspection personnelle sur son rapport au monde, à autrui et à son environnement. Analix Forever tend à nous faire prendre conscience de notre impact, en envisageant des changements positifs sur nos manières de penser et nos actions quotidiennes. Ainsi, de création en création, les émotions, les souvenirs et les questionnements de tout un chacun ouvrent les yeux et le cœur du public. Et une fois la porte de la galerie Analix Forever refermée, chaque visiteur peut repartir le cœur comblé, tenant dans ses mains l’une des œuvres qui a su éveiller sa sensibilité à la belle harmonie entre l’art et l’écologie.  

Une réaction sur “« une écologie des images », une exposition entremêlant contemplation, lenteur et impact environnemental à Analix Forever 

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