À l’ère où le numérique fait partie intégrante de nos sociétés et rythme notre quotidien, l’art quant à lui suit le pas et s’engage de plus en plus au travers d’expositions immersives aux sujets et thématiques multiples. Après une première expérience à l’Atelier des Lumières de Paris, reposant sur les peintures de Van Gogh, je souhaitais redécouvrir cet univers fascinant et subjuguant qui, cette fois, est d’autant plus axé sur la réflexion, la compassion, la résilience et la compréhension de notre propre existence. Ainsi, je vous donne rendez-vous au Palais des Congrès afin de découvrir l’exposition Transformé proposée par OASIS Immersion, un espace immersif à 360°. Entre émerveillement, créativité et réflexion, plongez dans l’univers psychique d’individus aux histoires vécues et troublantes.
Transformé où quiétude et tiraillement trouvent leur place
Construite autour de huit récits initialement conçus pour les casques de réalité virtuelle, l’exposition s’interroge sur notre sensibilité. Les questions de société, d’individualisme contemporain et d’empathie sont mises à l’épreuve, confrontées d’une scène à l’autre. Par une narration immersive et interactive, nous sommes invités à déambuler dans les salles aux décors mouvants afin de participer activement à la vivacité du lieu par nos déplacements et nos émotions.
Ayant un fort attrait pour la découverte inopinée, il n’est pas rare que je ne m’informe que très peu sur les expositions que j’entrevois de visiter afin d’être pleinement confrontée à mes ressentis les plus sincères. Ainsi, j’aimerais évoquer avec vous trois œuvres particulièrement marquantes qui ont su, indirectement, me toucher au plus profond de ma personne. Ma vision de l’art étant encore et toujours portée sur la notion d’introspection, de sensations vives, je tente à travers celle-ci de percer à jour mes états d’âme, ma relation au sensible. Par des émotions suscitées au gré des œuvres contemplées, nous sommes conviés à laisser parler cette partie de nous-même enfouie et parfois réticente à l’expression, à la démonstration publique renforcée par cette idéologie générale d’un devoir d’être stoïque face aux aléas de nos vies et des situations environnantes.
VESTIGE, une œuvre de résilience à s’en déchirer le cœur
Vestige est une œuvre poignante reposant sur le deuil inopiné et tragique d’un amour interrompu subitement. D’entrée de jeu, l’art nous prend aux tripes, nous coupe la respiration petit à petit. Le cœur emprisonné dans cette notion si belle mais complexe, celle de l’amour. Entrelacés par cette peur universelle, nous sommes confrontés à cette fatalité effrayante, celle dont on ne veut pas prononcer le nom. Celle qui nous écorche la gorge et le cœur, cette peur du deuil et de la perte d’un être cher. Ainsi commence l’histoire de Lisa, dans un récit aux premiers abords mélancoliques, beaux et nostalgiques, nous pensons à une rupture des plus conventionnelle. Elle nous raconte, par échange téléphonique, ses moments partagés avec son mari Erik et leur vie commune, un amour dévoué plein de douceur digne d’un conte à l’eau de rose. La musique bat son plein, un sentiment d’amour inconditionnel, et nos souvenirs de relations passées ou actuelles resurgissent face à son récit. Pour autant, pas une seule seconde, nous ne pouvions nous attendre à un changement de trajectoire brusque et inattendu, à un choc des plus déroutants et troublants.
C’est alors qu’en un clignement d’œil, l’ambiance se déchire, cette sensation d’apaisement et de beauté s’écroule. Des éclats de verre sont propulsés au sein des quatre murs de l’exposition. Une musique aux détonations déchirantes accompagne tous ses souvenirs envolés, lointains et disparus. Les visages se crispent, les mâchoires se contractent et les larmes coulent. L’histoire de Lisa devient alors la mienne, la nôtre. En regardant autour de moi, je contemple ces visages se délient de toute émotion. Certains pleurent à chaudes larmes, sans retenue, d’autres sortent leurs mouchoirs pour éviter de faiblir ou se cachent dans leur t-shirt afin d’empêcher leur sensibilité d’être révélée au grand jour. De mon côté, je faisais partie de ces gens qui se cachent et tentent d’être neutres alors que les pensées tiraillent leurs esprits, que leurs cœurs se serrent et tambourinent dans tout leur corps. Les yeux humides, je luttais et ressentais moi aussi. L’atmosphère de la salle transformée, entre compassion et retenue, nous étions face à cette effrayante finalité, celle de la souffrance à cœur ouvert, de l’inévitable fin.
Des regards compatissants s’échangeaient, des absences dans certains regards se produisaient. En réalité, chacun d’entre nous a plus ou moins revécu ses propres peines, ses propres chagrins de manière singulière. Cependant, la scène suivante revient comme une lueur d’espoir avec un message d’encouragement, de soutien. L’atmosphère reprend cet air chaleureux, toutefois entachée d’une certaine souffrance. Lisa nous évoque alors le courage de se relever, la force d’accepter, l’importance de surmonter la douleur. Par une finalité toute aussi belle qu’irréelle et magique, le choc fut si intense, j’avais le cœur brisé.
Comment surmontons-nous le deuil ? La rupture ? Comment pouvons-nous accepter que l’être le plus cher nous échappe des mains ? Que tous ses projets partent en fumée ? Comment vivre avec la conviction que cette personne que nous aimons tant ne fera plus partie de notre vie ? Qu’elle ne rentrera plus à la maison ? Et cette peur si intense de ne plus se souvenir de sa voix, de son visage, de nos moments passés ensemble ? L’ambiance est devenue terne, mais toutes ces personnes, réunies au sein de cette salle, avaient des sentiments, des souvenirs en tête. Nous étions donc personnellement et collectivement réunis, par des sourires de soutien, de compassion, aussi unis que distants. C’est sur ces quelques interrogations que je vous emmène au cœur de la deuxième œuvre « Tokyo Light Odyssey ». Après réflexion, cette scène se réfère parfaitement à cette notion de solitude malgré l’unicité sociale de notre monde.
Tokyo Light Odyssey, quand l’individualisme devient douloureux
Tokyo Odyssey retrace des situations typiques de la mégapole, celle de Tokyo. Par un regard surréaliste des lieux, celle-ci nous invite à plonger dans une méditation dynamique rythmée par les images et les sons environnants. Immergés dans un noir absolu, nous découvrons les buildings à l’éclairage flamboyant, le métro bondé d’individus obnubilés par leur téléphone ou au regard persistant, perdu, dépourvu de vie.
L’angoisse et l’émerveillement s’entremêlent. Par un sentiment de grandeur confronté à celui d’une solitude et d’un isolement complexe, les décors défilent et laissent place à des centaines de points lumineux envahissant alors tout l’espace. Cette notion de rapidité des temps modernes s’entrechoque à l’angoisse de nos vies.
Ces décors nocturnes transforment ces lieux en un espace de quiétude, de recueillement, de bien-être. La nuit a ce pouvoir unique de transformer nos peines, de les apaiser ou de les décupler. Cependant, avec ses bâtiments illuminés, ses rues paisibles ou plus festives, l’atmosphère se modifie et devient plus introspective, plus personnelle.
Cette œuvre résonne pleinement avec mon premier article sur Montréal et ce sentiment de vide. Celui d’être noyé, de s’effacer dans une foule abondante, se sentant totalement absente, comme inexistante. Perdus dans cette complexité et dans cette grandeur surdimensionnée, l’œuvre nous questionne sur notre sensibilité au monde, sur nos ressentis. Alors que chacune de ces personnes mène son propre chemin de vie, que savons-nous réellement de la complexité du monde et de l’immensité de l’humanité ? Comment cette solitude peut-elle être aussi vive et frappante alors que chacun d’entre nous est entouré d’individus à toute heure ?
Parfois trop obnubilés par notre propre vie, nous avons tendance à oublier notre environnement, incluant toutes ces personnes. Divertis par la musique dans nos écouteurs, par les centaines de notifications sur notre téléphone, nous devenons alors aliénés, dépourvus de toute empathie. Aussi unis que distants, il nous est devenu difficile de créer une connexion humaine au cœur du monde moderne, rythmée par l’individualisme et cette réussite personnelle aux penchants égoïstes. Quelle étrange sensation.
Conscious Existence, le pouvoir de l’émerveillement.
Conscious Existence clôture ce voyage aux récits troublants, pleins de sens et de questionnements. Par des illustrations magiques, envoûtantes et féeriques, l’œuvre nous livre un message d’espoir, d’ouverture d’esprit. Elle nous invite à percevoir le monde d’une autre manière afin d’observer toute la subtilité et la splendeur de nos vies.
De nos jours, beaucoup d’entre nous restent focalisés sur des événements désagréables et déconcertants, oubliant totalement les petites choses du quotidien. Ayant moi-même ce problème récurrent de m’apitoyer sur mon sort sans percevoir toute la subtilité de la situation, je rechigne sans cesse et ne prête pas grande attention aux leçons sous-jacentes et aux opportunités offertes.
Dans une société de consumérisme extrême et d’individualisme contemporain, il est devenu difficile de savoir se suffire de ce que nous avons, du minimum. Alors que nous voulons toujours obtenir plus, devenir plus grands, gonfler notre ego et montrer notre pouvoir, nous passons à côté de l’essentiel, de ce qui nous est universellement accessible. Toute la beauté de la nature, du monde s’envole et s’échappe de nos mains, réduite à un égoïsme narcissique et disproportionné. Il faut alors réapprendre, revaloriser et reconsidérer notre vision du monde.
Ainsi, l’œuvre nous délivre un message d’espoir, d’encouragement et de soutien. Agissant comme une invitation à se recentrer sur soi, à percevoir toute la beauté du monde, Conscious Existence nous sensibilise au pouvoir de la gratitude et à cette force ancrée en chacun de nous, à penser et à agir. Finalement, toutes ces émotions partagées font partie intégrante de notre personne, de notre identité, faisant de nous ce que nous sommes : des êtres sensibles pleins de ressources.
Submergée par une multitude d’émotions, je ressors de ces trois heures d’expositions comme grandie, libérée, et d’autant plus consciente de la complexité de notre monde intérieur. L’exposition Transformé nous offre un voyage aux confins de nos pensées les plus intimes, de notre être. La douceur des mots s’entrechoque à la brutalité des images, mais toutes deux forment une harmonie incontestable.